En exclusivité pour les visiteurs de Christophe's Lair, nous avons pu obtenir une petite interview de Didier et Olivier Guillon, dont les hits "Sapiens" et "Le 5ème Axe" sur Thomson restent dans toutes les mémoires des Thomsonistes. Dix ans après la fin de l'épopée Thomson, que sont-ils devenus? Enquête.

Christophe's Lair: Bon d'abord, qu'on se situe par rapport à l'histoire de l'informatique, ça fait combien de temps que vous êtes tombés dedans?
Didier et Olivier Guillon: Notre premier micro date de 1982 (16 ans déjà!).

C.L: Quelle machine?
D.O.G: Un VIC 20 (Commodore).

C.L: Toute une époque!
D.O.G: C'est vrai. Bonne époque. Et en plus il y avait le choix: TI 99 4/A, Oric 1... Avec le VIC 20, on a fait quelques petits jeux.. avec les 3581 octets libres à l'allumage !!

C.L: Vous êtes partis d'emblée dans la programmation?
D.O.G: Oui. On y était déjà, avec une calculette programmable HP34C.

C.L: Eh bien, on peut dire que vous êtes des accros! quelle est votre formation en fait? Etes-vous autodidactes?
D.O.G: On peut dire ça. On a suivi une autoformation à l'autodidactisme :) Tu sais, à l'époque on avait respectivement 15 et 20 ans.

C.L: Qu'est-ce qui vous a attirés dans le VIC 20 et l'informatique en général? A l'époque on ne se tournait pas forcément vers l'informatique pour les loisirs!
D.O.G: A l'époque, on a vu sortir les premiers micros personnels "abordables" (moins de 4000F), et à Noël 1982, on a fait notre choix en fonction des capacités internes. Pour la micro en général, c'était pour le "fun".

C.L: Et vous utilisiez le micro-ordinateur ensemble? Je veux dire, vous aviez déjà des projets communs de développement, avec 3581 octets?
D.O.G: Bien sûr! Dans les 3581 octets, on casait: l'assembleur-désassembleur maison, le jeu et les graphismes... Dure école! Bon, il ne restait plus que 500 octets pour programmer, mais ça obligeait à être compact et efficace :)

C.L: Quel genre de jeux aviez-vous en tête de créer?
D.O.G: Dès qu'on a eu l'extension 16Ko (luxe!) on a fait un pacman, des invaders, un asteroids, un jeu de courses de chevaux... Tout en assembleur pur jus. On peut en rentrer des choses en 16Ko.

C.L: Et ensuite? Vous êtes passés tout de suite à Thomson?
D.O.G: Après... Commodore 64 (premier jeu commercial), et le Thomson n'est arrivé qu'en 1985.

C.L: Mythique le C64.. Vous dites que c'est alors que vous avez créé votre premier jeux commercial. Duquel s'agit-il?
D.O.G: Il s'appelait Véga. Un shoot-them-up spatial genre Moon Patrol, édité chez Loriciels.

C.L: Comment en êtes-vous arrivés à développer du commercial? On s'est intéressé à vous? Vous avez proposé vos services?
D.O.G: On a développé ça pendant notre temps libre, et quand tout a été fini, on l'a envoyé à plusieurs éditeurs. Seul Loriciels avait répondu favorablement.

C.L: Comment se passait la création à l'époque? êtes-vous devenus développeurs chez Loriciels ou est-ce que la boîte passait commande un peu comme un éditeur avec un auteur de livres?
D.O.G: Ni l'un ni l'autre. Nous étions auteurs indépendants. On travaillait chez nous le soir et le week-end, et on envoyait les programmes à plusieurs éditeurs. Si ça les intéressait, ils nous répondaient.

C.L: Et apparemment, Loriciels a souvent répondu favorablement?
D.O.G: La première fois, ils avaient refusé un langage d'apprentissage qu'on a fait éditer chez "No Man's Land - Innelec"!

C.L: Ca change beaucoup des grosses boîtes de développement actuelles qui ont leurs propres équipes de développement. Vous avez donc proposé vos programmes à plusieurs éditeurs.
D.O.G: Oui. On a aussi travaillé pour Infogrames mais on ne s'entendait pas trop avec eux.

C.L: Beaucoup de gens pensent que les Commodores étaient de meilleures machines que les Thomsons. Pourquoi être passés sur Thomson?
D.O.G: Le marché était plus libre (il n'y avait pas la concurrence américaine) et tout était à faire sur cette machine. Le PDG de Loriciels nous a proposé d'adapter Véga, mais ce n'était pas possible. On a préféré développer quelque chose de neuf. Donc sur Thomson, on a commencé à faire "Le 5ème Axe".

C.L: Vous n'aviez pas d'abord développé "Le 5ème Axe" sur C64?
D.O.G: Eh non, il a été porté après (je sais, c'est bizarre). Ce sont deux copains du club informatique local qui ont commencé à faire l'adaptation C64.

C.L: Le développement du 5ème Axe, un travail de longue haleine?
D.O.G: 4 à 5 mois en tout. Mais là, on avait mis le paquet pour cause de date de sortie en juin pour être dans les bacs en septembre.

C.L: C'est là que tout se complique! Comment avez-vous fait? Il n'y avait aucun outil de développement correct sur Thomson!
D.O.G: Exact. On a *tout* fait:

Génèse verset 1

... avec également un éditeur de graphismes, un système d'exploitation disque, une protection K7, un convertisseur 6809 - Z80, et j'en oublie.. On avait une sacrée palette d'outils (maison).

C.L: Vos jeux sur Thomson ont tous un plus: bon graphismes (Sapiens), très bon bruitages, animation léchée (Le 5ème Axe).. Ca n'a pas dû être facile!
D.O.G: En fait, Le 5ème Axe a été commencé par l'animation du joueur. Le reste du jeu est venu ensuite.

C.L: Personellement, je reste épaté par les bruitages dans Le 5ème Axe et la musique dans Sapiens.
D.O.G: Ah! La musique de Sapiens! Souvent imitée, jamais égalée. On employait un système spécial inspiré de ce qui se faisait sur Apple (modulation delta). On n'avait qu'un bit et on y casait 3 voies!

C.L: Effectivement, la première fois que j'ai entendu ça, je n'en croyais pas mes oreille!
D.O.G: Moi non plus :) La sous-routine de musique a été réécrite une bonne dizaine de fois. J'en cauchemarde encore. Je m'en souviens par coeur.

C.L: Vraiment?!
D.O.G: Non je rigole. Je ne me souviens que du principe.

C.L: Que pensez-vous de l'épopée Thomson? On dit que c'était un gâchis. Au Lair, nous pensons que les nombreux logiciels de mauvaise qualité ont déservi la machine...
D.O.G: En 5 ans, on n'a jamais réussi à obtenir une doc "officielle" de Thomson.

C.L: Par officielle, vous entendez technique, bien sûr?
D.O.G: Oui. Une doc de développement, avec le détail du hardware et de la ROM. En plus... Au niveau hardware, il y avait quelques faiblesses: pas de circuit son, un seul mode graphique, mauvais clavier, pas de "sprites", pas de système d'exploitation disque "économique", pas d'outils de développement... et un processeur chouette mais qui faisait ce qu'il pouvait pour gérer tout ça. Il ne faut pas oublier qu'à l'époque, il y avait déjà le C64. Même le VIC 20 était supérieur au niveau hardware.

C.L: Ca en fait des défauts! Pourtant, le responsable de l'équipe de développement a dit en 1987: "On y croyait, nos produits étaient bons, mais des erreurs de marketing ont été commises".
D.O.G: Peut-être. Je ne sais pas si le marketing y faisait beaucoup à l'époque. On achetait généralement une machine parce qu'on avait vu tourner un super jeu dessus ou une belle démo.

C.L: Pensez-vous que les idées développées dans le TO8D et le TO9+ avaient leurs chances pour sauver le marché?
D.O.G: Ces machines ne m'ont pas beaucoup marqué. En fait, nous, nous sommes restés très longtemps sur notre MO5 avec clavier mécanique, et n'avons travaillé sur les autres machines Thomson que pour porter nos jeux.

C.L: Aujourd'hui, Sapiens existe toujours, il a été porté sur PC et Mac. Et c'est une réussite, pour autant que j'ai pu en juger!
D.O.G: Oui, ça c'était pour le "fun". Une manière de marquer le dixième anniversaire. En fait, il s'agit d'une adaptation de la version commerciale de l'Atari ST. Une version commerciale sur PC (mode CGA) était sortie en son temps.

C.L: Dix ans entre Sapiens/MO5 et Sapiens/PC, l'informatique a fait du chemin... Quel regard portez-vous sur cette évolution?
D.O.G: Sacrée évolution. Maintenant, il y a de la mémoire à la pelle, des processeurs hyper-rapides, mais il manque parfois un peu d'imagination dans les jeux.

C.L: Vous, vous n'aimez pas les séquences vidéo digitalisées...
D.O.G: C'est pas ça, mais l'abondance de moyens (financiers) dans les jeux décourage les gens, chez eux, d'essayer à leur tour. C'est devenu une industrie alors que c'était un artisanat (voire une vocation :) ).

C.L: Vous êtes à la tête de Myriad, une société de développement multimédia. Pouvez-vous nous en dire un peu plus?
D.O.G: Nous avons créé Myriad en 1988 parce qu'on en avait un peu marre d'être programmeurs indépendants, et donc légalement avec un statut bancal. On a donc monté Myriad, pour continuer à faire ce qu'on faisait déjà; on a un peu continué avec Loriciels (Albedo sur PC/Atari/Amiga) puis on s'est diversifiés (le mot est faible).

C.L: Vous développez pour qui?
D.O.G: Pour nous principalement, puisque nous sommes aussi éditeurs de nos propres produits. Sinon, on fait aussi du spécifique sur commande (en particulier des programmes scientifiques) et un peu en marge, en réaction avec l'industrie dont je parlais tout à l'heure, on a débuté dans le "shareware".

C.L: Et c'est cher?
D.O.G: Nous sommes TRES bon marché (il faut le répéter).

C.L: On fera de la pub, comptez sur nous.. Selon vous, y a-t-il encore de la place pour les petits, face à des géants comme Microsoft?
D.O.G: Ben tiens, je veux mon neveu, et heureusement. Tant que Microsoft n'arrivera pas à museler l'internet, il y aura de la place pour nous.

C.L: L'internet est un médium qui compte beaucoup pour vous?
D.O.G: Pas mal depuis quelques temps, oui. On a commencé à vendre nos sharewares sur le Net, et maintenant, ça marche plutôt bien. Et puis surtout, (contrairement avec ce qui se passait avec Loriciels et consor) on est en contact direct avec les utilisateurs et ça c'est chouette!

C.L: On souhaite que ça continue! Encore un mot sur Microsoft: Dieu, Diable ou Petit Père des Peuples?
D.O.G: Guillaume Portail? Un arriviste qui est arrivé. Bravo pour lui. Dommage pour nous.

C.L: Vous auriez aimé être à sa place?
D.O.G: Tout à fait au début oui. Ca avait l'air sympa, le groupe d'allumés qui programmait les premiers interpréteurs Basic. Et après QU'EST-CE QU'IL A FAIT (je dis "fait", pas "fait faire" ou piqué)?

C.L: Nous n'entrerons pas dans ce débat. :) Mais au fait, qui ai-je interviewé, là?
D.O.G: A la frappe, Olivier (le cadet) et au cerveau, Didier (l'ainé). Et sur le moniteur 17 pouces, Djizz, la chatte.

C.L: Merci beaucoup d'avoir accordé un peu de votre temps aux nostalgiques Thomson!
D.O.G: No problem. Merci à toi. La prochaine fois on sera plus méchants et on dira du mal de tout le monde (on sait des choses sur feu Loriciels et Infogrames, mais la vérité est ailleurs).

C.L: Génial! ça c'est un scoop! on va devenir célèbre sur le Lair!! Je prends déjà l'exclusivité naturellement!
D.O.G: Vous avez un bon avocat j'espère :))) Allez, salut!

C.L: Salut!
 

Propos recueillis par Edouard FORLER sur IRC le 8 octobre 1998.

Didier et Olivier Guillon ont commercialisé les programmes suivants:
 

Titre Année Type Plateforme
Logic 1 1982 Langage d'initiation Vic 20
Logic 2 1983 Langage d'initiation CBM 64
Vega 1984 Jeu d'arcade CBM 64
J'apprends la conjugaison 1984 Educatif Thomson
Le Cinquième Axe 1985 Jeu de plateaux/aventure Thomson - Amstrad CPC
Sapiens 1986 Jeu d'aventure Thomson - Amstrad CPC
Le Cinquième Axe 1987 Jeu de plateaux/aventure CBM 64
Sapiens 1987 Jeu d'aventure Atari ST et PC
Albedo 1988 Jeu d'arcade Atari ST - Amiga
La vie du lac 1989 Educatif Atari ST - Mac - PC
Salmo 1990-91 Educatif Atari ST - Mac - PC
L'air c'est la vie 1993 Educatif Mac - PC
Harmony Assistant 1994 Composition musicale Mac - PC
La vie des chauves-souris 1994 Educatif Mac - PC
Sapiens "remasterisé" 1996 Jeu d 'aventure Mac - PC
Awalé 1997 Jeu de stratégie Mac - PC
Melody Assistant 1998 Composition musicale Mac - PC

Si vous souhaitez en savoir plus sur eux, leur travail et la version moderne de Sapiens, consultez leur site http://www.myriad-online.com. Ca vaut le détour!